Les antipsychotiques et la démence : Un mariage de raison?

Make a change in your hospital by putting recommendations into practice. Here’s how:

Avr 27, 2017 - Points de vue

by Samantha Relich pour Choisir avec soin

Proche aidante de son père âgé, une femme se heurte à la surconsommation de médicaments utilisés pour les symptômes comportementaux de la démence.

HospitalsLes antipsychotiques et la démence : Un mariage de raison?

Avr 27, 2017 - Points de vue

by Samantha Relich pour Choisir avec soin

Proche aidante de son père âgé, une femme se heurte à la surconsommation de médicaments utilisés pour les symptômes comportementaux de la démence.

Make a change in your hospital by putting recommendations into practice. Here’s how:

Lorsque Violet Zahn a revu son père après qu’un hôpital d’Edmonton l’ait transféré au centre Carewest George Boyack à Calgary, elle a eu un choc. Alité, l’homme était à peine conscient et il était incapable de communiquer ou de marcher.

Trois semaines plus tard, le personnel soignant l’a trouvé inconscient et l’a retourné à l’hôpital où il a été soigné pour une pneumonie. Les médecins ont alors décidé de le sevrer de son cocktail de médicaments, qu’ils estimaient être à l’origine de l’état semi-comateux dans lequel il se trouvait depuis si longtemps.

Madame Zahn ne pouvait pas croire que la démence de son père justifiait la prise d’autant de médicaments.

« Je n’en revenais pas », se rappelle-t-elle.

Pour Mme Zahn, les montagnes russes avaient commencé quelques années plus tôt; elle avait alors demandé qu’une travailleuse sociale psychiatrique vienne rendre visite à ses parents à domicile pour évaluer les changements de comportement de son père. « Il a fallu un certain temps et quelques tests, mais on lui a finalement diagnostiqué la maladie d’Alzheimer », se rappelle-t-elle.

Elle souhaitait faire admettre son père dans un établissement de soins, mais ses symptômes n’étaient pas jugés assez importants pour une intervention immédiate. Elle a dû attendre que les symptômes de son père s’aggravent au point où il ne pouvait plus rester à la maison sans risque. « Un jour, il a tiré les cheveux de ma mère en lui plongeant la tête vers le bas ». Et elle se souvient s’être dit « voilà, maintenant, je vais pouvoir obtenir des soins pour lui ».

« Il a fallu que la police intervienne et le fasse sortir de force de la maison ». Il a été amené à l’hôpital à Edmonton où on l’a maintenu dans les « limbes » jusqu’à ce que ses symptômes comportementaux s’améliorent assez pour qu’on l’amène dans un établissement de soins. C’est à l’hôpital que la médication a commencé.

Madame Zahn ne se rappelle pas tous les médicaments de son père, mais elle sait qu’il en prenait beaucoup. Elle sait aussi que l’un de ces médicaments était un antipsychotique. Peu importe le mélange, l’approche n’a pas résolu ses problèmes de comportement. Lorsqu’il était conscient à l’hôpital, son père avait des crises de vociférations et d’agressivité. « C’était évident qu’il était terrifié. Et ma mère avait peur pour lui », dit-elle.

Une épidémie en hausse

L’histoire de Mme Zahn et de son père n’a rien d’exceptionnel. L’utilisation de divers médicaments pour traiter les symptômes comportementaux de la maladie d’Alzheimer et de la démence fait l’objet d’un intense débat. Deux classes de médicaments en particulier soulèvent d’importantes inquiétudes.

La première est celle des benzodiazépines qui incluent des marques telles qu’Ativan, Valium et Xanax. On les utilise couramment pour traiter l’insomnie et l’anxiété, et elles peuvent causer de la désorientation et des chutes.

La deuxième classe est celle des antipsychotiques. Les médecins ont d’abord utilisé les antipsychotiques dans les cas de démence pour tenter de venir à bout des délires et de la paranoïa que certains patients peuvent ressentir au cours de leur maladie. Mais selon la recherche, les antipsychotiques peuvent avoir d’importants effets négatifs, accroître le risque de mort prématurée et accélérer le déclin cognitif. Ils causent également de l’agitation, de l’insomnie, des chutes et de la confusion.

En plus des effets secondaires, l’autre inconvénient majeur des antipsychotiques est que leur efficacité n’a pas été démontrée.

« Les équipes soignantes font face à des situations très complexes. Si seulement il y avait un médicament réellement efficace », rappelle Verdeen Bueckert, infirmière praticienne principale au Seniors Health Strategic Clinical Network, intégré aux services de santé de l’Alberta. Mme Bueckert participe au projet AUA (Appropriate Use of Antipsychotics) sur l’utilisation appropriée des antipsychotiques, qui relève des services de santé de l’Alberta.

Cette initiative a d’abord été un projet pilote auprès de 11 centres de soins de longue durée albertains en 2013. En l’espace de neuf mois, les centres avaient réduit l’utilisation des antipsychotiques de 50 pour cent.

Le projet AUA a pris naissance à la suite des mises en garde émises par Santé Canada en 2002, 2004, 2005 et 2015 à propos de l’utilisation de divers antipsychotiques, dans un contexte où mondialement, on devenait plus conscient des bienfaits limités et des méfaits de ces médicaments.

« Les sédatifs et les antipsychotiques sont administrés pour apaiser les gens ou pour les aider à dormir », explique Mme Bueckert. Mais chez de nombreux patients, comme le père de Mme Zahn, ils ne font qu’occasionner d’autres effets indésirables de nature comportementale « pour lesquels on administre d’autres médicaments », explique Mme Bueckert. Chez un faible pourcentage de patients, les antipsychotiques peuvent être utiles pendant un certain temps, mais il faut les réévaluer à mesure que la maladie progresse. Et il est important de souligner que ces médicaments sont effectivement indiqués dans certains cas, par exemple, pour les problèmes de santé mentale chroniques comme la schizophrénie.

Une étude de 2008 a révélé que les antipsychotiques peuvent multiplier par trois voire davantage le « risque d’incidents graves » chez les personnes âgées souffrant de démence dans les 30 jours qui suivent le début de leur utilisation. L’étude définissait incident grave comme une hospitalisation ou un décès. Une étude de 2006 recommande de cesser les antipsychotiques s’ils n’apportent aucune amélioration en l’espace de 12 semaines.

Mais changer les habitudes de prescription demeure un défi, selon la gériatre Barbara Liu, de l’hôpital Sunnybrook de Toronto. Les familles, le personnel soignant et les médecins peuvent voir les antipsychotiques comme une solution incontournable. « La pharmacothérapie peut à certains égards être une intervention plus simple, plus rapide et moins fastidieuse pour les professionnels de la santé ou autres », affirme-t-elle.

Selon elle, souvent, la famille du patient se sent impuissante et cherche une solution instantanée sous forme de médicament. « Les gens se sentent désarmés face aux comportements de leur être cher », explique la Dre Liu.

Il arrive que les antipsychotiques soient le choix approprié, rappelle-t-elle, particulièrement si les patients vivent eux-mêmes de la détresse. « Les hallucinations et les délires peuvent être effrayants, et vous ne souhaitez pas laisser quelqu’un dans un tel état », précise-t-elle.

« Les antipsychotiques peuvent être appropriés comme stratégie temporaire pour des comportements qui exposent le patient et l’entourage à des risques, dans le contexte d’une démence de type Alzheimer », précise Mme Bueckert en ajoutant que si des antipsychotiques sont prescrits, il est important de fixer une date pour réévaluer la décision et vérifier si le médicament est efficace ou encore nécessaire.

Dans la grande majorité des cas, la pharmacothérapie ne devrait pas être la première étape, selon la Dre Liu. « Il est crucial », précise-t-elle « d’écarter d’abord les causes physiques, médicales et environnementales du comportement perturbateur.

« Nous croyons que ces crises et ces comportements sont les manifestations d’un besoin. Une personne atteinte de démence n’est pas toujours capable de dire de quoi elle a besoin », rappelle-t-elle.

Premières étapes et solutions plus judicieuses

Madame Zahn a immédiatement constaté une amélioration chez son père après le sevrage de ses médicaments.

« Il a toujours son Alzheimer et ses symptômes, mais il est plus heureux. Il est plus aimant. Il communique plus facilement et il pose moins de gestes agressifs », relate-t-elle.

Elle dit qu’elle a vu son père « s’épanouir ». Madame Zahn attribue une partie de ces améliorations à la faible dose d’antidépresseurs que son père prend désormais, une décision qui a été prise après que le personnel soignant, les médecins de Calgary et Mme Zahn aient discuté ensemble des antécédents médicaux de son père.

« Il nous est arrivé de nous demander si au cours de sa vie il n’a pas souffert de problèmes de santé mentale. Mais il n’était pas du type à prendre des médicaments ou à consulter un médecin », explique Mme Zahn. Elle se souvient de périodes durant lesquelles son père était replié sur lui-même ou stimulé par des lumières vives ou des sons aigus et de longues périodes où il préférait être seul.

Après avoir pris connaissance de ces renseignements, les médecins ont suggéré un antidépresseur à faible dose plutôt que le cocktail de médicaments précédent. Le résultat a dépassé les attentes de Mme Zahn. « Sa vie est en fait plus agréable maintenant. Il traverse de bonnes années ».

Même si elle attribue une partie des améliorations observées chez son père aux choix de médicament, Mme Zahn croit qu’elles sont aussi dues à l’approche thérapeutique de ce nouvel établissement de soins.

« Il est question ici de traiter la personne entière, et non seulement ses symptômes », affirme-t-elle. Elle ajoute « une fois débarrassé de ses médicaments superflus, il a eu la possibilité d’accepter sa situation, de s’adapter à sa nouvelle routine, de créer des liens et des amitiés autour de lui ».

Aux dires de madame Bueckert, c’est une approche centrée sur la personne. L’un des éléments primordiaux du programme AUA consiste à se demander « que pouvons-nous essayer d’autre » avant de recourir à la pharmacothérapie.

« On découvre parfois que le patient a un abcès dentaire ou que ses comportements rentrent dans l’ordre lorsque le personnel modifie son approche ou se familiarise avec des techniques non violentes de gestion de crise », explique Mme Bueckert.

Du point de vue médical, les comportements peuvent être déclenchés par des choses aussi simples que la déshydratation, la constipation, une infection ou même la sécheresse de la peau. Un changement d’approche de la part du personnel soignant, une modification de la routine ou la température ambiante peuvent déclencher une crise. La Dre Liu ajoute « dans la mesure du possible, nous devons identifier le besoin et la cause des comportements ».

« Trop souvent, le déclencheur est quelque chose d’aussi banal qu’une mauvaise nuit de sommeil », rappelle Mme Bueckert. « Le mauvais sommeil peut rendre n’importe qui irritable. Imaginez qu’on vous réveille à 3 h chaque nuit pour vos soins de continence de routine puis qu’on vous traîne à la salle à manger pour le petit déjeuner à 7 heures, ne deviendriez-vous pas impatient? », demande-t-elle.

Si la Dre Liu et Mme Bueckert admettent que prendre le temps d’identifier la cause des comportements ou cultiver une nouvelle approche de soins moins agressante, prend plus de temps, elles soulignent toutes les deux que les résultats en valent la peine.

Madame Bueckert ajoute que les familles sont au cœur de la solution. « Les familles disposent d’une mine de renseignements utiles au sujet de l’histoire de leur être cher. Elles peuvent suggérer des approches qui fonctionneront pour cette personne », précise-t-elle.

Madame Zahn sait d’expérience qu’elle peut avoir de l’influence sur son père. « Autrefois, il criait plus fort que moi. Maintenant, je comprends et tout en douceur je peux lui faire baisser le ton. C’est pourquoi le personnel cherchait à lui administrer ses médicaments à des doses plus appropriées – parce que ces moments de crise passent et le calme revient ».

Madame Bueckert affirme que bien des gens se sont « éveillés » après qu’on ait cessé leurs antipsychotiques. Elle admet que le travail est difficile et exigeant pour le personnel insuffisant dans certains établissements. Mais dans la plupart des cas, les besoins de personnel n’augmentent pas lorsqu’on diminue les antipsychotiques puisque les patients arrivent à en faire plus par eux-mêmes, et qu’ils sont plus agréables à côtoyer une fois que le personnel a modifié les routines et les approches.

Compte tenu du succès que remporte le programme AUA de l’Alberta, Mme Bueckert espère qu’on en fera plus à l’échelle nationale pour réduire l’utilisation superflue et inappropriée des antipsychotiques et donner naissance à d’autres récits positifs comme celui de Mme Zahn. Elle a rédigé le contenu de la trousse d’outils Choisir avec soin « Lorsque la psychose n’est pas le diagnostic », pour réduire l’utilisation inappropriée des antipsychotiques dans les établissements de soins de longue durée.

Pour Mme Bueckert, c’est personnel. « Cela commence avec l’histoire de ma grand-mère qui me regarde du haut du ciel et qui m’encourage – maintenant que ses antipsychotiques sont définitivement cessés. »

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